Quel bonheur ce grand rond !

Voilà c'est fait ! 5 représentations, plein de spectateurs (ouaaiiiiis !), défilé d'amis (ouiiiiii !), des retours très positifs (ouaich !) et aussi des entrevues d'avenir encore plus radieux.

Cerise sur le gâteau, un article élogieux sur le clou dans la planche !


Le cri de la plante verte// Théâtre du Grand Rond




SORTIR DU POT (VOUS AVEZ COMPRIS ?)


publié le 29/02/2020
(Théâtre du Grand Rond)





« Incarner un personnage, c’est comme enfiler une moufle,
l’important c’est de ne pas se tromper de sens. »
Michel Panzanini dans Le cri de la plante verte

Clowneries, herbes folles et fête foraine : ajoutez quelques personnages inquiétants, voici Le cri de la plante verte, la nouvelle création de la compagnie Modula Medulla. Coproduit par le Théâtre du Grand Rond, le spectacle a provoqué (en ce soir de première) l’hilarité de la salle, allant jusqu’aux pleurs de rire. Gaëlle Levallois se glisse à merveille dans la peau d’une conteuse malhabile. Théâtreuse illuminée aux emportements enfantins et aux élans déjantés, elle voudrait raconter l’histoire de ce « petit garçon » qui parvient à s’aventurer hors de chez lui. Et elle raconte, avec une folie généreuse et sans complexes. Un « seule en scène » pas piqué des vers.

Épopée botanique

Elle entre par la porte réservée au public, robe noire et collants verts, coiffée d’un turban blanc. Elle semble habitée, les yeux écarquillés – le mystère comique qui l’entoure rappelle le fameux sketch de Francis Blanche et Pierre Dac, Le Sâr Rabindranath Duval. « Une histoire peut en cacher une autre », commence-t-elle. Cette histoire, c’est celle d’un petit garçon (appelé Stanislas, puis Jean), qui vit seul dans sa maison, souffrant de son enfermement et de sa solitude. Pour la raconter, trois bandes de pelouse artificielle disposées au sol, encadrant une table sur laquelle reposent deux tourne-disques. Dès la mise en place de la situation initiale, la conteuse, maniaque, s’interdit d’utiliser deux fois le même mot. La contrainte donnera lieu, tout au long du spectacle, à des acrobaties verbales. La forêt devient un « rassemblement d’arbres », un « groupement de végétaux » ou encore « le royaume des arbres des arbrisseaux et des buissons ». Cherchant ses mots, la narratrice trébuche et trouve, s’émerveillant parfois des tournures dénichées ou s’amusant de ses propres jeux de mots. « Jean fuit. Vous avez compris ? », demande-t-elle aux spectateur·rices, envoyant valser le quatrième mur. Lorsqu’elle s’apprête à prendre les traits de son personnage principal, elle prévient son public : « pour la première fois du spectacle, je vais interpréter un personnage avec mon corps à la manière de la comedia ». Elle précise que ses stages de théâtre avec un certain Michel Panzanini l’ont aidée à créer ce spectacle. Grâce à un élément déclencheur absurde – « un jour, il se rendit compte que la porte était ouverte » – Jean parvient à sortir de chez lui, pour rencontrer d’autres enfants. Dehors, il connaîtra la forêt, une petite fille qui répète « je sais pas », une voix menaçante, une vache insatisfaite, un « crocodile crânement et crûment critiqué pour sa cruauté », et une fête foraine – mais personne n’a le droit de monter dans les manèges. Au fur et à mesure du récit, l’épopée du petit Jean se déroule, à grand renfort de trouvailles plastiques : forêt de gants verts, nain sous une cloche tournant sur la platine, ruisseau de plastique bleu, lac dans un saladier. La conteuse interprète tour à tour tous les personnages, se perdant parfois dans sa propre frénésie – elle finira par ôter sa robe lorsqu’elle incarne la vache qui voudrait « renverser le monde ». Pour échapper à cet univers inquiétant, Jean aura une idée fantastique : se déguiser en plante verte. Le spectacle bascule alors : la narratrice se demande si son histoire n’est pas trop compliquée, et révèle au public le véritable propos de son récit. Le repli sur soi, comme annoncé sur la plaquette de présentation.

Rire et verdir

Avec ce Cri de la plante verte, Gaëlle Levallois livre un solo délirant et désopilant. La conteuse qu’elle incarne voudrait parler de la timidité, du statut de victime : qu’est-ce que cela fait d’être persécuté par les autres, et de ne pas se sentir en sécurité ? Pourquoi le petit Jean décide-t-il de devenir invisible en se camouflant en plante verte ? Les questionnements affleurent, en effet, mais restent en retrait face au potentiel comique du spectacle et à son aspect clownesque. Alors, le doute s’installe : l’objectif est-il réellement de parler de repli sur soi, ou est-ce encore l’une de ses facéties ? Qui est cette conteuse toquée qui prend toute la place ? Sa propre timidité apparente, qu’elle tente d’affronter en se confrontant au public, apporte un relief vertigineux à la forme choisie et vient nourrir le lien avec la salle. Avec une grande précision corporelle et une gestuelle évoquant celle du cinéma muet Chaplinesque ou celui des Marx Brothers pour l’absurdité, la comédienne va toujours plus loin dans la bizarrerie.
Au-delà du clownesque, se dessine également un aspect horrifique – presque « trash » – lorsqu’elle incarne une femme à perruques. Armée d’une lampe torche (seule lumière présente à ce moment-là), elle répète « tu peux pas y aller dans les manèges », en sillonnant l’allée centrale du public, interpellant directement certain·es spectateur·rices. Obsessionnel, ce personnage rappelle l’écrivain torturé de Shining tapant frénétiquement à la machine : « All work and no play makes Jack a dull boy ». Aucun doute, l’univers du film d’horreur est présent et assumé, et vient apporter à la palette comique une touche de rire nerveux. La scénographie, quant à elle, foutraque et ingénieuse, soutient l’aspect cocasse. Comme les jeux de langage, ce décor à surprises fait rayonner le désir de la conteuse : celui de raconter une histoire, coûte que coûte, de braver ses propres interdits. Une grande et belle performance qui provoque de ces rires restant en bouche et en mémoire.

Lucie Dumas